Trois jours avant – communication téléphonique de Yukimura avec sa hiérarchie restée à Tôkyô

« Yukimura-sensei, je comprends votre inquiétude. Mais cette obsession pour retrouver Kanna ne vous aidera pas dans vos rapports avec vos élèves. Essayez de décompresser, de penser à autre chose… Nous nous occupons de l’affaire de cette disparition. »

Shun se prit la tête dans les mains, le combiné toujours collé contre son oreille. Comment penser à autre chose ? C’était tout simplement impossible.

Le silence du professeur de civilisation fit prendre une décision à son supérieur :

« Yukimura-sensei, écoutez-moi bien. Vous êtes le professeur, le modèle pour une dizaine de vos élèves. Vous ne pouvez pas vous laisser abattre.

J’ai la solution. Dans trois jours vous recevrez par la poste un dépliant. Vous suivrez toutes les indications inscrites, et on en reparlera au téléphone. A bientôt, Yukimura. »

Avant de pouvoir répondre quoi que ce soit, un ‘clic’ aigu signala à Shun que la conversation était terminée.



Trois jours après –

Yukimura, un lourd sac à dos sur les épaules, avait enfin atteint les falaises. Il lu pour la énième fois les consignes du dépliant :

Trouvez un endroit extérieur reposant, où vous vous sentirez un avec la nature.

Shun grimaça en posant son sac sur le sol. Il installa sur l’herbe jaune une grande serviette, qui aurait bien pu accueillir trois ou quatre personnes.
Il sortit un thermos de thé brûlant, quelques biscuits enveloppés dans du cellophane, et posa le fameux dépliant devant lui.

Le jeune professeur prit le temps de s’asseoir en tailleur, et commença à lire à haute voix les consignes, les appliquant au fur et à mesure.

Vous êtes dans la nature. Vous êtes une partie de la nature. Vous souriez à la nature.

Yukimura se retint d’exploser de rire. Il avait fait tout ce chemin dans la forêt pour finalement sourire à des falaises désertiques ?
Malgré tout il s’était juré de faire ce que son supérieur lui avait conseillé, et esquissa un sourire forcé.

Vous êtes assis, les mains posées sur vos genoux. Vous sentez un fil au dessus de votre tête, qui descend jusqu’à vos reins. Ce fil est un bâton, que vous ne pouvez plier. Votre dos est droit, votre tête sourit à l’horizon.

Votre tête… sourit à l’horizon ?
Yukimura ne pouvait que maudire celui qui avait pondu un tel texte.

Shun fit attention à sa posture, et redressa ses épaules.

Concentrez-vous maintenant sur votre respiration. Votre inspiration est sur deux temps, votre expiration sur trois ou quatre. Sentez le chemin de l’air dans votre nez, vos poumons, votre corps tout entier.

Yukimura était entièrement focalisé sur sa respiration, et un bruit atténué lui fit penser que quelqu’un le rejoignait, mais il n’y fit pas attention.

Inspiration.
Expiration.
Inspiration.

Yukimura continua sa lecture à voix haute.

Vous allez maintenant penser à l’instant présent. Pensez à cet instant dans votre journée. Pensez à cet instant par rapport à votre semaine entière. Vous faites ce zoom arrière, à votre rythme, tranquillement. Pensez à l’instant présent par rapport à votre mois… à votre année…. à votre vie… aux générations précédentes et suivantes…

Cette tentative de prendre du recul par rapport à ce qu’il vivait était la bienvenue, et Yukimura prit le temps de s’évader dans son passé.